Mission au Congo
Transport du Jacques d'Uzès
de l'Oubangui au Chari en 1904
Une mission en Afrique Centrale
par Jean-Baudouin de ParsevalAu début de sa carrière en 1903, Henri de Parseval, alors enseigne de vaisseau, fut détaché auprès du Département des Colonies. Une page de la période coloniale de la France est illustrée par la mission qui lui fût confiée de transporter, en pleine saison des pluies, sur 150 km de forêt équatoriale la canonnière Jacques d'Uzès — de 18 mètres et 5 tonnes environ — pour la faire passer du bassin du Congo à celui du Tchad. La réussite de cette entreprise difficile — tâche impensable aujourd'hui — vaudra à Henri de Parseval, à la demande de l'illustre général Gouraud, alors lieutenant-colonel, la Légion d'Honneur au titre "Exploration".
La mission
Suivant les instructions données le 12 avril 1904 par Emile Gentil, Commissaire Général du Gouvernement dans le Congo français, il est confié à l'enseigne de vaisseau Henri de Parseval, agé de 30 ans, la mission de commander la flottille du Chari et de faire passer par portage la canonnière à vapeur Jacques d'Uzès du bassin de l'Oubangui dans celui du Chari.
A cet effet, il doit se rendre à Brazzaville afin d'escorter le Jacques d'Uzès qui doit être remorqué par le Dolisie jusqu'au poste de Bangui, puis par les rivières Kémo et Tomi, coupées de rapides et encombrées de troncs d'arbres, rejoindre Krébedjé (Fort-Sibut). A cet endroit, la coque du Jacques d'Uzès doit être dérivetée en sept tranches, puis transportée aux hautes crues pendant la saison des pluies, ainsi que la machine et la chaudière à travers 150 km de forêt équatorial, jusqu'à Fort-Crampel (Gribingui) afin d'y être rerivetée et remise en état pour venir renforcer la flottille du Tchad.
Fort-Sibut et Fort-Crampel sont situés à 1600 km au NNE de Brazzaville, au nord de la ville de Bangui en plein Territoire Oubangui-Chari (rebaptisé en 1958 République Centrafricaine). Le Chari, long de 1200km, est un fleuve qui prend sa source non loin de Fort-Crampel puis se déverse dans le lac Tchad situé à 100km au nord de Fort-Lamy (rebaptisé N'Djaména) en Territoire du Tchad.
Fort-Crampel se trouve à 150 km au nord de Fort-Sibut, en pleine forêt équatoriale montagneuse (7° Lat.N). Aucune rivière ne reliant ces 2 villages, il n'y a alors pas d'autre moyen à cette époque, que de transporter "à dos d'hommes" (16 hommes pour une tranche de 400 kg) le Jacques d'Uzès démonté en 7 tranches.
Henri de Parseval disposait pour cette de mission de "3 triqueballes (Essieu à roues), 1 mécanicien, 2 tirailleurs sénégalais, 3 prisonniers et 200 porteurs". Le portage proprement dit a duré du 30 juillet au 3 décembre 1904, quatre mois en pleine saison des pluies dans des conditions très difficiles - il y aura de nombreux morts parmi les porteurs et l'ensemble de la mission se déroula du 21 avril 1904 au 19 février 1905 (10 mois).
On note que l'ordre de mission ne cache pas qu'il est peut-être impossible de remplir cette tâche, et on peut donner l'atmosphère de cette époque en citant cet extrait:
« ...Cette besogne vraiment pénible pour laquelle les porteurs devront être encouragés par des cadeaux appréciables (fusils et étoffes) et aussi par l'octroi d'une nourriture saine et copieuse... »
Pour situer la difficulté de cette mission, il faut se placer dans le contexte géographique, politique, climatique, technologique et médical de ces temps là. En effet ce n'est que quelques années auparavant, en 1877, que Stanley descend le Congo ouvrant la voie à l'exploration européenne et que la France, avec la Mission Marchand, créa en 1898 le poste de Bangui. L'Oubangui-Chari deviendra colonie française précisément en 1905.
Le 3 août 1905, Henri reçoit ordre de débarquer de la flottille du Tchad et de se rendre à Brazzaville en instance de rapatriement. Il quitte Bangui le 1er septembre 1905 comme commandant de la flottille du Tchad pour un congé en métropole de 3 mois.
Suite à cette mission difficile menée à bien, Henri de Parseval fut proposé pour la Légion d'Honneur par le Général Gouraud, appuyé par le Ministre des Colonies, puis par la Direction du Ministère de la Marine. La Légion d'Honneur fut donc attribuée au lieutenant de vaisseau Henri de Parseval le 12 mars 1906, à 31 ans, au titre "Exploration".
La terrible fatigue occasionnée par cette dépense physique altérera irréversiblement la santé de Henri de Parseval et abrègera sa carrière et sa vie. A partir de 1906, régulièrement, les bulletins individuels de Henri de Parseval feront état d'une fatigue générale provenant d'une «... anémie tropicale contractée pendant un long séjour dans le centre de l'Afrique...»
Le rapport de mission
Ce rapport fut adressé à Monsieur le Lieutenant-Colonel Gouraud, Commandant le Territoire du Tchad.
Fort-Crampel, 3 février 1905
Transport du vapeur "Jacques d'Uzès" du bassin du Congo à celui du Tchad.
Rapport en fin de mission, de l'enseigne de vaisseau de Parseval
Armement du d'Uzès — 21 avril 1904 à 1er juin
Le Jacques d'Uzès était en service à Brazzaville lorsque fut décidé, en avril 1904, son envoi au Chari pour y renforcer la flottille du Territoire du Tchad. Ce vapeur me fut remis le 21 avril 1904 et le second maître mécanicien hors-cadres Brugel me fut en même temps adjoint. Le Commissaire Général avait prescrit en outre, que le Dolisie remorquerait le d'Uzès jusqu'à Bangui. (NB: De Brazzaville à Bangui il y a environ 1300km en remontant le fleuve Congo, le lac Léopold II et le fleuve Oubangui). Le voyage de Brazzaville à Bangui était ainsi abrégé et l'on ménagerait la machine qui pourrait ensuite donner son maximum de puissance pour franchir les rapides du Haut-Oubangui et de la Tomi.
Personnel
Du 21 avril au 1er juin, date de notre départ de Brazzaville, la machine fut complètement revue, le gouvernail refait, les rechanges nécessaires triées et encaissées etc... Comme équipage je n'avais qu'un petit arabe d'une douzaine d'années, sachant manier un peu la lime et le marteau, et un Sénégalais, ancien laptot, dont je fis un chauffeur. Le jour des essais on me prêta du personnel du Dolisie. La veille du départ, je trouvai un second chauffeur: ces trois hommes furent embarqués par autorisation du Secrétaire Général. Le 3 juin je trouvai un Sénégalais, bon ouvrier mécanicien, que j'embarquai aussitôt en demandant à Brazzaville de l'engager.
Montée de Brazzaville à la Kémo 1er juin - 22 juin
A Bangui ce noyau d'équipage fut renforcé pour la montée à Fort-de-Possel, (NB: Fort-de-Possel est situé à environ 120 km de Bangui, en remontant le fleuve Oubangui.) par le personnel prêté par le Dolisie, dont le Commandant, Monsieur de Mostuéjouls, pilota le d'Uzès à travers les dangereux rapides. Grâce à lui et grâce au doigté parfait avec lequel Brugel sut conduire la machine, ils furent franchis en quatre jours, et le 22 juin, Monsieur de Mostuéjouls me quittait avec son personnel, le d'Uzès était à Fort-de-Possel.
Je dois ici une mention spéciale à ce concours si habile. Le d'Uzès avait juste assez de vitesse, à toute puissance pour remonter les courants de foudre (NB: en zig-zag), du rapide de l'Eléphant, surtout. Il n'y avait pas la plus légère erreur de barre ni la moindre défaillance de machine à se permettre. Il fallait toute l'habileté et l'expérience consommée de Monsieur de Mostuéjouls pour accomplir ce tour de force, rarement exécuté auparavant, et le plus souvent par lui-même d'ailleurs.
Portage
De l'Oubangui au Chari le transport se décompose en sept opérations :
- Montée de la Kémo-Tomi jusqu'à Krébedjé.
- Démontage du vapeur, et mise en route des charges légères par transit normal.
- Aménagement du sentier de portage pour le passage des tranches de la coque.
- Transport de ces tranches jusqu'à la Nana - 120 kilomètres.
- Remontage partiel de la coque et descente de la Haute Nana jusqu'aux chutes.
- Séparation à nouveau des tranches et transport au pied des chutes.
- Remontage et descente à Fort-Crampel où le vapeur subit une complète remise à neuf.
1. Montée de la Kémo-Tomi 30 juillet - 7 août
Les eaux étaient trop basses à la fin de juin, dans la Tomi, pour le vapeur. D'ailleurs avant de m'y lancer, j'avais à reconnaître les nombreux obstacles de cette étroite rivière qu'aucun vapeur n'avait encore remontée. Je partis pour Krébedjé le 26 juin, avec deux grandes pirogues chargées de tout le matériel dont on put alléger le vapeur et je prescrivis à Brugel de démonter complètement la paillote des rembardes, la cheminée etc .......
(NB: Krébedjé ou Fort Sibut, lieu du démontage, situé sur la rivière Tomi affluent de la Kémo, elle même affluent de l'Oubangui, se trouve 150 km de navigation au nord de Fort-de-Possel)
Je reconnus 13 seuils ou rapides, dont deux chutes de près de un mètre, et de nombreux arbres écroulés exigeant de sérieux abattis, sans parler des branches s'étendant horizontalement près de l'eau. Les coudes continuels et très brusques gêneraient beaucoup le vapeur, mais somme toute j'estimai dès lors la montée possible après une crue de 1 m 50.
A Krébedjé je me concertai avec Mr l'officier d'administration Dagand, mis à ma disposition pour diriger les travaux d'aménagement du sentier de portage. Il fut convenu qu'il attaquerait cette tâche dès l'arrivée prochaine des Yacomas attendus pour le transport.
A mon retour à Fort-de-Possel les eaux ne montaient encore pas. J'envoyai Brugel à Krébedjé en pirogue avec tout le matériel qu'il venait de démonter et je descendis à Bangui et à la Lobaï chercher des charges destinées à la flottille. Revenues avec elles à la Kémo le 27 juillet, je trouvai la crue commencée et le 30 juillet j'appareillai avec le d'Uzès pour Krébedjé, ayant renforcé mon équipage d'une douzaine de Yacomas pour manoeuvrer les perches et les amarres... Les Yacomas faisaient parti du contingent de 300 hommes du Haut-Oubangui mis à ma disposition pour le transport et qui commençaient à arriver.
La montée à Krébedjé s'effectua en huit jours non sans difficultés. Tous les moyens dont nous disposions, puissance de la machine, amarres, chaînes, perches, n'étaient pas de trop pour le passage des rapides, dont certains exigèrent plusieurs heures de dur travail. Je manoeuvrai la barre moi-même, et ne la quittait pas un instant durant tout le voyage. Les souches pointues de bois dur, les rochers, exigeaient une attention continuelle tandis que Brugel ne quittait pas la manoeuvre de la machine, soumise à une dure épreuve, car il ne se passa certainement pas, dans la Tomi, cinq minutes de suite sans renversement de marche nécessité par les obstacles au-dessus et au-dessous de l'eau, et les coudes continuels. Puis se furent des arbres écroulés, barrant la rivière d'un fouillis de branches à travers desquelles il fallait se frayer patiemment un chemin à la hache ou à la scie jusqu'à deux pieds sous l'eau. (NB: 2 pieds = 66 cm)
2 & 3. Démontage du vapeur (8 août - 25 août) et aménagement du sentier de portage par Mr Dagand (25 juillet-3 novembre)
Arrivé à Krébedjé le 7 août, le vapeur fut aussitôt mis en démontage.
Par les soins de Mr Dagand une cale de hâlage avait été commencée et coupés les bois nécessaires à la construction d'un abri pour le matériel. Laissant à Brugel le démontage en train, je partis en reconnaissance sur la route que frayait Mr Dagand.
Mr Dagand avait organisé le travail, considérable, avec une méthode parfaite. Il fallait une piste de 4 m de large, praticable au portage des tranches de la coque et roulage pour les triqueballes destinées aux plus lourdes. Il répartit ses travailleurs en deux grandes équipes, l'une dirigée par son canonnier, l'autre par lui-même. Dans chaque équipe une fraction travaillait aux ponts, une autre aux abattis et débroussements, enfin une autre assurait le transport du manioc réuni dans le poste le plus voisin par ordre de l'Administrateur commandant la région.
NB:Triqueballe, fardier utilisé pour le transport de fardeaux longs, comportant deux roues et un essieu, au-dessous duquel est suspendue la charge.
Mr Dagand choisissait lui-même le tracé pour franchir au meilleur endroit, ou tourner, les nombreux obstacles, ravins, marais, rivières, escarpement que le sentier de portage traversait brutalement par des passages impossibles à adopter le plus souvent.
Le sentier était détestable en cette saison des grandes pluies, et la route neuve n'existait que sur 14 kilomètres à partir de Krébedjé. Grâce à une activité et une endurance remarquable Mr Dagand réussit à percer rapidement. Après avoir indiqué le passage, trouvé non sans peine dans une brousse marécageuse et impraticable, il revenais parfois de plusieurs heures en arrière diriger la construction d'un pont sur une rivière torrentueuse, ou surveiller une rampe à flanc de collines. Et le soir il distribuait lui-même la ration à ses Yacomas, faisait l'appel. Pour tenir en main et diriger 150 Yacomas, il avait son canonnier et deux prisonniers arabes ! Je lui passais l'un de mes deux Sénégalais pour renforcer ces cadres vraiment trop maigres.
Services exceptionnels de Mr Dagand
De Krébedjé à la Nana, au point où fut lancé le vapeur, il y a 120 kilomètres, dont 14 de route faite. C'est donc 106 kilomètres de pistes que Mr Dagand fraya en trois mois et demi au plus fort de la saison des pluies. Il établit une vingtaine de ponts sur les marais et les rivières débordées. La Bassinda avait 40 m de large sur 3 m de profondeur au milieu, la Guifa 30 m sur 4 m de profondeur, la Fô près de 100 m ...... Sur le Bégaou et le Liseré les ponts ont plus de 50 m. Les ponts de lianes étaient emportés par la crue; les passagers ne passaient qu'avec la plus grande difficulté. Le Commandant Largeau failli se noyer en passant le Fô, en août, avant l'arrivée de l'équipe de Mr Dagand. Le 28 septembre le pont suspendu de la Nana, construit depuis trois ans, fut démoli par une crue formidable. La saison des pluies fut donc particulièrement dure et les difficultés du travail étaient singulièrement augmentées par le faible rendement indigènes nus sous la pluie et nourris à grand-peine.
Telle fut la tâche que Mr Dagand malgré deux ans de séjour, accomplit avec une rapidité et une méthode que prouva d'une façon éclatante le transport même du vapeur, accompli sans avarie et sans être non plus retardé par le travail en avant, rejoint seulement près du but.
Une telle oeuvre fut la base même du succès et je n'hésite pas à déclarer que sans le concours de Mr Dagand il eût été problématique, en tout cas infiniment plus long à atteindre, plus pénible et plus coûteux. J'ose espérer que de tels titres à une récompense exceptionnelle vaudront à Mr Dagand sa promotion d'officier immédiate au grade supérieur.
Je revins à Krébedjé le 13 août et m'employai à aider au travail de démontage et à surveiller la confection des charges légères: à celle-ci je formai une équipe de Yacomas qui, avec de la liane et de la paille, fabriquèrent adroitement des emballages suffisants.
Les porteurs de transit évacuaient ces charges au fur et à mesure.
4. Transport des tranches de coque par terre (3 septembre - 9 novembre)
Le 25 août les tranches de la coque étaient séparées, dix sept jours après l'arrivée du vapeur à Krébedjé. Il ne restait plus qu'à les rendre transportables. Tout était là ! et ce fut un souci des plus graves. Leurs dimensions étaient considérables: 4 m sur 2 m 50 et 1 m de creux, leur poids était de 400 Kg. Les tranches extérieures étaient même un peu plus grandes et plus lourdes. Celles-ci, je les jugeai impossible à porter sur une telle distance. Elles furent juchées, non sans tâtonnements, et solidement accorées, (accore: pièce de bois qui étaie un navire pendant sa construction) sur deux triqueballes. Le troisième reçut les quatre collecteurs de la chaudière soit 511 Kgs. Des essais de roulage avec une trentaine d'hommes furent satisfaisants.
Il ne fallait pas songer à décharger et recharger dans chaque poste ces véhicules et les va-et-vient auraient pris trop de temps. Je décidai que les cinq autres seraient portées. Pour faire une expérience décisive je résolus d'amener au plus tôt, un triqueballe et deux tranches aux Ungourras, poste situé à 50 km de Krébedjé.
Cet essai commencé le 3 septembre fut très dur. J'accompagnai pas à pas avec Brugel les Yacomas qui, nullement habitués au portage, fatiguaient beaucoup et se décourageaient. La pluie tombait à torrents. Dès le premier jour il nous fallut refaire toute l'installation des tranches, portées par 16 hommes chacune, qui n'y purent réussir qu'après la confection de traverses oscillantes, indépendantes des tailles et laissant de la souplesse à l'ensemble.
Le 29 septembre la coque était en entier aux Ungourras. Le transport continua, tout octobre, succession monotone des mêmes difficultés et fatigues, sous ma surveillance renforcée par celle de Brugel, infatigable. Les étapes moyenne étaient de 8 à 10 Kilomètres; l'équipe de transport, composée de 95 hommes au début se réduisit à 70 par les morts et les congédiements pour cause de santé. Elle transportait chaque jour deux tranches ou trois triqueballes ou une tranche et tous nos bagages; parfois elle faisait deux voyages si l'étape choisie était inférieure à 8 Kilomètres.
En fin octobre, les pluies diminuèrent et brusquement, nous étions près du poste de Nana. Une reconnaissance rapide jusqu'à Fort-Crampel m'avait décidé à utiliser le bief supérieur de la Nana. Je gagnais ainsi 40 Kilomètres de portage et licenciais les Yacomas un mois plus tôt. Précisément la région de Nana très pauvre, me créait de sérieuses inquiétudes pour leur subsistance. Sans de grands convois de mil recrutés au loin et envoyés en toute diligence par Mr l'Administrateur Bobichon, sans le dévouement actif de Monsieur Lalande, chef de poste aux Ungourras, qui ravitailla les Yacomas depuis 25 Kilomètres en deçà, jusqu'à 40 km au delà de son poste, la famine eût encore éclairci les rangs déjà décimés par la fatigue et les maladies.
5. Descente de la Nana jusqu'aux chutes (17-25 novembre)
(Après remontage partiel 9-17 novembre)
Le transport par terre avait duré deux mois et six jours du 3 septembre au 9 novembre entre Kébedjé et la Nana, sur 120 kilomètres. Tandis que les charges légères continuaient par le transit normal jusqu'à Fort-Crampel, il fallu procéder à un remontage de la coque, suffisant pour lui permettre de flotter. De plus l'étroitesse de la Nana et la végétation qui l'obstrue ne permettait pas au 18 mètres de longueur du vapeur de naviguer d'une seule pièce. Je fis trois flotteurs séparés, chalands munis de cloisons étanches. Ce travail accompli au confluent de la Nana et de la Gougou en face de l'ancien poste de Nana où Monsieur Gentil dirigea le montage et la séparation analogue en trois chalands du Léon Blot, prit du 10 au 16 novembre.
Le 17 nous commencions la descente. Nous étions 4 Européens. Mr Dagand et son canonnier Cazé, Brugel et moi. Nous dirigions les chalands, moi en tête dans le chaland avant, mes deux Sénégalais, le chauffeur, le petit arabe, deux auxiliaires Sangos, les deux prisonniers arabes et les boys, manoeuvraient tant bien que mal les perches, et souvent la hache et le coupe-coupe. Il fallut huit jours de cette étrange navigation pour atteindre les chutes, où nous arrivions le 25 novembre.
6. Séparation des tranches et portage autour des chutes 26 novembre-2 décembre
Laissant à Brugel le soin de séparer de nouveau les tranches et de les harnacher, je partis pour Fort-Crampel et ramenai 150 porteurs, aussitôt fournis par l'administrateur Bobichon.
Il n'y avait plus qu'à transporter le vapeur sur les 6 kilomètres qui séparent les deux biefs navigables de la Nana. Ce fut fait en deux jours, le 30 novembre et le 1er décembre, non sans difficultés pour ces porteurs nouveaux. Je vis là clairement d'abord l'extrême difficulté de porter, sans triqueballe les deux tranches extrêmes, puis l'insurmontable obstacle qu'eût été le transport par porteurs du pays, changeant à chaque étape, et qu'une fuite aisée dans les villages amis aurait soustrait à cette besogne harassante ! .. Et je me félicite que des bruits inquiétants sur le portage dans la région m'aient valu les Yacomas.
7. Descente à Fort-Crampel et remise en état 3 décembre
L'opération inverse s'exécute sans difficulté et le 3 décembre la coque en trois parties arrivait à Fort-Crampel, le Jacques d'Uzès y était au complet.
(NB: Fort-Crampel ou Gribingui, au confluent de la Nana et de la Gribingui, affluent du Chari qui se déverse dans le lac Tchad)
Les tranches furent aussitôt remises sur cale; tous les rivets de la tôle-quille étaient à changer, plusieurs tôles de l'avant également. Enfin l'opération du remontage complet plus délicate et plus longue que celle du démontage, fut mise en train.
En exécution d'ordres reçus je laissai à Brugel seul cette lourde tâche, le 16 décembre, pour aller jusqu'à Fort-de-Possel chercher cinq baleinières neuves. Quand je revins, le 28 janvier, la coque entièrement remise à neuf, achevée, était à flot, la machine et la chaudière presque complètement remontées. Il faut encore plus d'un mois de travail pour terminer la réfection du pont, de la cheminée, de la paillote et de divers accessoires. Je ne doute pas que Brugel avec son endurance et sa courageuse expérience ne vienne à bout de cette tâche et du montage des cinq baleinières. Comme j'ai eu l'honneur de l'exposer dans une lettre n° 30, j'ai demandé pour lui au Commissaire Général une importante gratification me basant sur celle de 4000 Fr accordée en 1897 au mécanicien du Blot.
Moins d'un an se sera écoulé, entre l'arrivée à Brazzaville de l'ordre d'envoi du d'Uzès au Tchad, et son entrée en service plus neuf et plus solide qu'au départ, dans la flottille du Territoire.
L'enseigne de vaisseau chef de mission
signé: de Parseval.
Sources
- Carnet de route manuscrit de Henri de Parseval, "Une mission en Afrique Centrale en 1904-1905", d'où sont extraites les photos et la carte de portage non incluses dans le rapport mais nécessaires pour situer les évènements.
- Le dossier personnel de Henri de Parseval au Service Historique de la Marine à Vincennes, pavillon de la Reine.
- Correspondances avec René Deverdun.
- Photos © famille de Parseval (DR).